Loyers commerciaux et crise sanitaire #Covid19
Publié le :
14/04/2020
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Le gouvernement vient d’annoncer la possible extension du dispositif relatif aux loyers commerciaux en envisageant leur prise en charge dans le cadre du fonds de solidarité instauré pour les petites entreprises. C’est l’occasion de faire un point sur les mesures dérogatoires applicables pendant la crise sanitaire en matière de loyers commerciaux.
Très tôt, l’Etat a annoncé la possibilité de suspendre le paiement des loyers commerciaux durant l’état d’urgence sanitaire.
L’article 3 de l’ordonnance 2020-316 prévoit ainsi que le défaut de paiement des loyers et charges locatives dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de 2 mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire ne peut encourir de pénalités financières, d’intérêts de retard, de dommages-intérêts, d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou donner lieu à l'activation des garanties ou cautions. »
Mais cette disposition ne concerne que les entreprises bénéficiant d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou liquidation judiciaire, ou celles susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité :
• qui ont fait l’objet d’une interdiction d’ouverture au public ou qui ont subi une perte d’au moins 50% de leur chiffre d’affaires au mois de mars 2020 ;
• dont l’effectif est inférieur ou égal à 10 salariés ;
• dont les montants de CA et de bénéfice du dernier exercice clos sont respectivement inférieurs à 1 000 000 € et à 60 000 € ;
• dont les personnes physiques, ou dirigeant majoritaire, ne sont pas titulaires au 1er mars 2020 d’un contrat de travail à temps complet ou d’une pension de vieillesse, et n’ont pas bénéficié d’indemnités journalières d’un montant supérieur à 800 € ;
• et qui ne sont pas contrôlées par une société holding commerciale ou qui ne contrôlent pas une ou plusieurs sociétés dépassant cumulativement ces seuils.
C’est donc un dispositif qui ne s’applique pas à titre général mais qu’à une partie des entreprises, et ne fait que neutraliser les sanctions (pécuniaires ou de résiliation), sans exonérer le preneur de son obligation de régler ensuite les échéances suspendues de façon échelonnée, ce qui nécessitera :
• sauf nouvelles dispositions gouvernementales, des discussions avec le bailleur,
• ou une décision judicaire, à défaut d’accord, pour obtenir un étalement ou un report sur 24 mois comme le permet l’article 1343-5 du code civil.
En revanche, l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire dispose, sans critère distinctif, que les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période commençant à courir le 12 mars 2020 jusqu’à l’expiration d’un délai d'1 mois après la fin de l’état de crise sanitaire, si le débiteur n'a pas exécuté son obligation avant ce terme.
Ce texte s’applique donc à toutes les entreprises et permet de neutraliser les effets du non-paiement des échéances de loyers commerciaux mais sur une durée plus courte, sans évoquer toutefois la neutralisation des intérêts de retard, et là encore n’exonère par le preneur de son obligation de paiement à terme des loyers et charges locatives.
D’autres sources de droit pourraient permettre aux entreprises de justifier, sans responsabilité ni sanction, un non-paiement des loyers commerciaux dus :
1/ La force majeure de l’article 1218 du Code civil qui nécessite 3 conditions cumulatives :
• La survenance d’un évènement extérieur ;
• Imprévisible lors de la conclusion du contrat ;
• Irrésistible, c’est-à-dire auquel le preneur ne peut remédier par l’adoption de quelque mesure que ce soit.
De rares jurisprudences relatives à une épidémie (H1N1, chikungunya) témoignent de la réticence des tribunaux à faire application de la force majeure et les auteurs émettent plusieurs réserves sur la prise en compte générale du Covid-19 comme cas de force majeure, sauf texte spécifique des pouvoirs publics.
Néanmoins, nous nous trouvons dans une situation inédite. Certes, la force majeure ne pourra pas faire l’objet d’une application systématique conduisant, pour toutes les entreprises, à la suspension du paiement de ses loyers commerciaux ou professionnels et une appréciation au cas par cas est de rigueur. Mais en présence d’une décision de fermeture obligatoire, qui s’applique par exemple pour tous les établissements de restauration, la force majeure devrait pouvoir être retenue. Le débat est ouvert en tout cas.
2/ L’imprévision de l’article 1195 du code civil
Ce dispositif permet de solliciter la révision amiable ou judicaire d’un contrat :
• Dès lors que survient un changement de circonstances imprévisible au moment de la conclusion du contrat,
• rendant excessivement onéreuse l’exécution de ses obligations pour une partie qui n’en a pas accepté le risque,
• que les parties n’aient pas exclu l’application de l’article 1195 dans le contrat.
L’imprévision ne peut s’appliquer qu’aux contrats conclus après le 1er octobre 2016, date de prise d’effet de la réforme des obligations, et peut permettre de modifier temporairement les conditions du bail. Elle nécessite une négociation avec le bailleur, ou à défaut de saisir le juge en l’absence d’accord.
3/ L’exception d’inexécution de l’article 1219 du Code civil
Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. L’absence de mise à disposition des lieux objet du bail est à l’évidence un manquement grave puisqu’il s’agit d’une obligation essentielle du bailleur.
Mais ce fondement juridique est également source d’insécurité car le bailleur n’est pas l’auteur de l’inexécution. Il est lui-même astreint, par un cas de force majeure, à ne plus pouvoir mettre ses locaux en jouissance.
En conclusion : sur la base des ordonnances adoptées depuis la survenance de l’état de crise sanitaire, nous pouvons considérer que la suspension du paiement des loyers n’entrainera pas de risque de résiliation ou d’application de pénalités, mais nul doute, sauf nouvelles dispositions, que des discussions sérieuses entre bailleur et locataire auront lieu ensuite, après la cessation de l’état de crise, pour parvenir à renégocier le montant et les modalités de paiement des arriérés… Ou, à défaut d’accord donnera lieu à un contentieux qui risque d’être riche et abondant….
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